miércoles, 27 de julio de 2011

EL MANIFIESTO DE BREIVIK

Attentats en Norvège : 1 518 pages d'un "testament" délirant

LEMONDE | 26.07.11 | 12h07 • Mis à jour le 27.07.11 | 14h02

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La couverture du manifeste posté sur Internet par Anders Behring Breivik avant l'attentat et la tuerie.

La couverture du manifeste posté sur Internet par Anders Behring Breivik avant l'attentat et la tuerie. AFP/-

C'est un curieux avertissement légal. Il a été glissé par Anders Behring Breivik, l'auteur présumé de la tuerie d'Oslo, à la 767e page d'un pavé qu'il a rédigé en anglais, avec constance, trois ans durant. Cette insertion se situe à mi-chemin de 1518 pages fourre-tout mais réunies sous le titre "2083, une déclaration d'indépendance européenne". Tous se penchent désormais sur ce manifeste, mis en ligne peu avant le massacre par le jeune Norvégien de 32 ans, pour sonder les motivations politiques et personnelles qui l'ont amené à tuer 76 personnes, vendredi 22 juillet, selon un bilan revu à la baisse mais encore provisoire.

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L'avertissement prépare le lecteur à ce qui va suivre : la description par le menu de ce qui apparaît, aujourd'hui, comme une stratégie terroriste, ses préparatifs minutieux, le choix des cibles, la fabrication détaillée d'explosifs, le compte à rebours jusqu'à l'attaque finale. "L'auteur, amateur de science-fiction, a voulu créerun nouveau style complet d'écriture qui ait le potentiel de choquer (…) avec un incroyable complot qui est œuvre de fiction. L'auteur ne condamne ni n'approuve aucune des descriptions contenues dans ce livre", est-il écrit.

Il y est toutefois ajouté : "Ce livre a été conçu pour tenter d'expliquer aux élites politiques européennes comment la perpétuation des doctrines politiques en vigueur pourrait déboucher sur de telles manifestations, à savoir la radicalisation de certains groupes ou individus." On ne sait pas aujourd'hui pourquoi Anders Behring Breivik, à ce moment de son ouvrage, a pris cette précaution vaine.

"COMMANDEUR D'UN NOUVEL ORDRE TEMPLIER"

Dans les pages qui suivent, il s'efface pour laisser place à son double, le"commandeur d'un nouvel ordre templier", un "mouvement de croisés", à la fois ordre militaire et tribunal, censé combattre pour "les droits des peuples autochtones d'Europe" et "contre le djihad européen en cours". La croix des Templiers figure d'ailleurs sur la première page du manifeste.

L'islam est l'obsession de celui qui se présente comme un entrepreneur à succès. Et qui se revendique politiquement comme "un conservateur culturel" ou"révolutionnaire conservateur". Mais Breivik est d'abord en guerre contre ce qu'il désigne comme "le politiquement correct". Il y voit une "idéologie totalitaire", une sorte de Moloch mis en place par les marxistes qui ont substitué la bataille culturelle à la bataille économique.

Le désastre, à ses yeux, remonte à la collusion entre ces "marxistes culturels" et les intellectuels allemands de l'Ecole de Francfort (Wilhelm Reich, Herbert Marcuse, Theodor Adorno), qui n'ont eu de cesse, pour lui, de subvertir les valeurs traditionnelles et de désarmer les Européens. La promotion du multiculturalisme – que Breivik abhorre par-dessus tout et dont il déplore qu'elle soit aussi adoptée "par les soi-disant partis conservateurs" –, la lutte contre le racisme, le sexisme et l'homophobie, tout cela forme, ce qu'il dépeint comme "une idéologie de haine dont le but est de détruire la civilisation occidentale et qui est antichrétienne, antifamille, antinationaliste, antipatriote, anticonservateur, antihérédité, antimasculin, antitradition et antimorale".

ÉMASCULATION DU MÂLE EUROPÉEN

Surtout, le jeune Norvégien déplore "la féminisation de la culture européenne". Les derniers bastions de la domination masculine sont aujourd'hui "assaillis", note-t-il en citant la police et l'armée. Les magazines masculins Esquire, GQ, Men's Health, notamment, promeuvent "le métrosexuel", "un nouvel homme féminisé". Ailleurs, il évoque une volonté d'"émasculer le mâle européen".

Au final, tous ces concepts entraînent, s'alarme-t-il, la "destructiondes capacités de défense de la société européenne", ce qui ouvre la voie à "l'islamisation de l'Europe" et à "un génocide culturel".

Les "élites multiculturalistes" (institutions européennes, partis de gouvernement, médias, intellectuels) ont, pour lui, trahi. Ce sont les principales responsables de cet état de fait, ce sont elles qu'il envisage en premier lieu de punir, les qualifiant de"nazis actuels".

FIN DE L'ÈRE DU DIALOGUE AVEC LES ÉLITES

Pour lui, l'ère du dialogue avec ces élites est finie, depuis l'intervention, en 1999, de l'OTAN en Serbie, en soutien aux Kosovars. "Il n'y a pas de démocratie en Europe", juge-t-il, estimant que le poids de l'idéologie officielle couplée à "l'importation d'électeurs", avec l'immigration, interdisent aux "conservateurs culturels" tout espoir d'arriver un jour au pouvoir. "Le temps de la résistance armée est venu", en conclut-il page 801 de son manifeste.

Les traîtres, Anders Behring Breivik, les a soigneusement répertoriés, "en vue d'un nouveau procès de Nuremberg". Il les a classés selon quatre catégories : A (leaders politiques, médiatiques et patronaux) ; B ("marxistes culturels", journalistes, éditeurs, universitaires, leaders ecclésiastiques, militants antifascistes) ; C et D (collaborateurs des catégories précédentes). Dans son projet, les A et B (400 000 personnes en Europe selon ses calculs… dont 417 à Malte) doivent être exécutés, sauf s'ils capitulent au 1er janvier 2020, selon l'ultimatum préparé par son fantasmatique "ordre templier".

UN PLAN D'ÉXECUTION EN TROIS PHASES

Dans ce fatras, une recommandation sonne aujourd'hui étrangement au regard de la fusillade méthodique d'une heure et demie qu'il a perpétrée lors de l'université d'été des jeunes travaillistes norvégiens : "Une cible prioritaire doit être la fête annuelle du Parti socialiste/social-démocrate de votre pays."

Anders Behring Breivik se place dans la perspective de ce qu'il appelle "la guerre civile européenne". Pratiquement une guerre de cent ans, découpée en trois phases. Durant la première, celle que nous vivons et qui doit durer jusqu'en 2030, des actions spectaculaires doivent être menées par des cellules clandestines. Pour des raisons de sécurité, précise-t-il, ces dernières ne doivent pas dépasserdeux personnes. Il s'agit de marquer l'opinion pour gagner des soutiens.

LA "DÉPORTATION DES MUSULMANS" ENGAGÉE EN 2083

La phase deux, qui court jusqu'en 2070, doit voir une structuration des "groupes de résistance" en vue de la préparation de "coups d'Etat paneuropéens". La phase trois s'achève, elle, en 2083. A cette date, selon Breivik, "les musulmans pourraientatteindre 50% de la population". Les coups d'Etat ont lieu dans tous les pays. La"déportation des musulmans" est engagée.

Ces derniers font aussi l'objet d'un ultimatum qui court jusqu'au 1er janvier 2020. S'ils veulent rester en Europe, ils doivent devenir européens et remplir une liste très précise de prescriptions : "Se convertir au christianisme ; changer de nom ;renoncer à pratiquer leur langue maternelle ou l'arabe."

Le terroriste prévoit également "la démolition et la reconversion des mosquées comme de tous les bâtiments d'architecture islamique ou arabe". Par ailleurs, "les couples de musulmans qui veulent s'assimiler ne pourront avoir plus de deux enfants". Il est précisé que la "période probatoire durera deux générations", soit "au minimum cinquante ans".

UNE FAMILLE BRISÉE PAR "LA RÉVOLUTION FÉMINISTE/SEXUELLE"

Ce manifeste, à la fois très précis et délirant, a été conçu comme un legs politique. Son auteur a tout réglé dans les moindres détails et entendait maîtriser ce qui sera dit de lui après son arrestation ou sa mort. Il s'est ainsi concocté une auto-interview longue d'une centaine de pages, dans laquelle il sélectionne des éléments biographiques.

Lui qui est persuadé qu'il sera présenté comme "un dingue", ou un raté, insiste longuement sur ses réussites professionnelles. Il évoque très peu son passage dans la franc-maçonnerie. Mais revient sur sa jeunesse. Un père diplomate aux sympathies travaillistes qui divorce lorsqu'il a 1 an. Une première enfance à Londres. Un remariage et un nouveau divorce. Il dit ne plus parler à son père depuis ses 16 ans, mais "ne pas avoir de mauvais souvenir de son enfance" et décrit sa famille comme "typique de la classe moyenne norvégienne".

Il s'enorgueillit d'avoir été adolescent dans le mouvement hip-hop et affirme avoirété l'un des graffeurs les plus célèbres d'Oslo. Il assure avoir été l'objet de huit agressions en six ans de la part de "bandes pakistanaises". Et va jusqu'à détaillerl'herpès génital de sa mère. "Ma famille a été brisée par les effets secondaires de la révolution féministe/sexuelle", lâche-t-il.

"Ayant dépassé les 30 ans, je dois décider si je veux me marier et fonder une famille. Comment pourrais-je procréer en sachant que nous nous dirigeons vers un suicide culturel ?" s'interroge-t-il. Il affirme avoir choisi de ne pas avoir de petite amie. Le manifeste prend alors les allures d'un effrayant compte à rebours.

317 000 EUROS DE BUDGET

Anders Behring Breivik invoque une mystérieuse réunion, en 2002, à Londres, où il aurait été initié comme "templier" après avoir rendu visite à "un héros de guerre serbe" au Liberia. Il s'efforce de recruter sur Facebook, se construit un budget opérationnel. Il dit avoir consacré au total 317 000 euros à l'ensemble de son"opération", qu'il décompose ainsi : 130 000 euros "de sa poche" et 187 500 en"pertes de salaire" car il a fini par abandonner son activité professionnelle pour seconsacrer à son projet. Il raconte avoir vendu son service de table de luxe Versace, sa montre Breitling, son stylo Montblanc.

Surtout, à partir de juillet 2010, il décrit en direct son quotidien de terroriste endevenir. Pratiquement façon télé-réalité. La couverture octroyée par l'acquisition d'une ferme en vue d'acheter les engrais agricoles nécessaires à la fabrication d'une bombe. Sa tentative avortée et naïve d'entrer en contact avec des Hell's Angels à Prague pour acquérir des armes semi-automatiques après avoir une première fois tenté sa chance auprès de petits dealers.

"LES GENS ME PRENAIENT SOIT POUR UN FLIC, SOIT POUR UN FOU TOTAL. LOL."

"Les gens que j'ai approchés sont devenus très nerveux et me prenaient soit pour un flic, soit pour un fou total. LOL." Il se bourre de stéroïdes pour se muscler, se réfugie dans les jeux vidéo et la musique électro, quand il ne passe pas ses journées à procéder à des tests de ses mélanges explosifs. Le 14 mai, rien… si ce n'est la finale de l'Eurovision. "J'adore l'Eurovision", écrit-il.

Deux mois et demi plus tard, le vendredi 22 juillet, il clôt son ouvrage par ces quelques lignes: "Imaginez que les forces de l'ordre viennent chez moi les jours prochains. Ils se tromperont sûrement et penseront que j'étais un terroriste. LOL."Puis : "Je crois que ce sera mon dernier post. On est maintenant le vendredi 22 juillet, 12h51. Bien à vous."

Abel Mestre et Caroline MonnotArticle paru dans l'édition du 27.07.11


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