jueves, 24 de febrero de 2011

EL NEW LABOUR Y, AHORA, DAVID CAMERON

David Cameron, le New Labour, la 'community cohesion' et le

multiculturalisme

l

L'attaque de David Cameron contre le multiculturalisme, loin d'être un coup de tonnerre soudain dans le ciel de Grande-Bretagne, rappelle furieusement une inflexion du New Labour il y a déjà dix ans.

Rappelons-nous : quelques mois avant le 11 septembre 2001, des émeutes de grande ampleur éclataient dans le nord de l'Angleterre, montrant des jeunes d'origine essentiellement pakistanaise s'affronter avec la police. Les rapports commandités par David Blunkett, alors ministre de l'intérieur de Tony Blair, firent de la ségrégation résidentielle et scolaire le facteur principal menant à la séparation des communautés et favorisant un climat d'ignorance, de peur et de violence.

Au banc des accusés, le multiculturalisme sous ses formes les plus discutables (comme le financement d'associations communautaires locales), parce qu'il aurait encouragé les tendances au repli sur soi, voire "l'auto-ségrégation". Les néo-travaillistes forgèrent donc une nouvelle notion : lacommunity cohesion. Il s'agissait d'encourager les personnes d'origines diverses à s'engager dans la vie associative locale, pour favoriser l'émergence de liens interculturels et prévenir le repli communautaire. Il s'agissait aussi de déléguer à la société civile un rôle dans la gestion des tensions et la prévention de la violence.

Cette approche reposait sur l'idée de valeurs communes devant fournir un socle sur lequel les personnes d'origine diverse pouvaient établir un dialogue. Aussi, dès 2002, David Blunkett créait-il également une cérémonie de citoyenneté pour les nouveaux naturalisés et renforçait-il l'enseignement de la citoyenneté à l'école. C'est aussi dans cette période que Gordon Brown et Tony Blair multiplièrent les discours sur la "britannicité", une version de l'"identité nationale" reconstruite autour de valeurs civiques comme la tolérance, les droits de l'homme, la règle de droit et la démocratie. Après les attentats de Londres de juillet 2005, la community cohesion et la citoyenneté furent de nouveau mises en avant pour prévenir l'extrémisme.

Lorsque David Cameron accuse aujourd'hui le multiculturalisme d'avoir encouragé des "vies séparées", qui auraient facilité l'endoctrinement de jeunes jihadistes, il reprend presque mot pour mot la notion de "vies parallèles" qui était au cœur des analyses de la ségrégation urbaine lors des émeutes de 2001. De même, lorsqu'il propose de remplacer le "multiculturalisme d'Etat" par un "libéralisme musculaire" qui encouragerait la participation de tous dans la vie publique locale, rappelle-t-il les discours sur la community cohesion et la promotion de la citoyenneté par David Blunkett lorsque ce dernier insistait sur le respect par tous des valeurs démocratiques et des droits de l'homme.

CONCILIER CULTURES MINORITAIRES ET RESPECT DES VALEURS COMMUNES

Mais il y existe une différence inquiétante : les néo-travaillistes ont toujours affirmé qu'il n'était pas question de remplacer le multiculturalisme par la cohésion et l'intégration, mais plutôt de tenter de le rénover pour l'adapter à la mondialisation et à la reprise des flux migratoires. Le multiculturalisme tel qu'il était apparu dans les années 1970 et 1980 était une tentative pour concilier reconnaissance des cultures minoritaires et respect par tous des valeurs communes ; mais il avait, selon eux, trop insisté sur le premier terme de l'équation. Voilà pourquoi il était temps de le rééquilibrer en mettant davantage l'accent sur les valeurs fondatrices de la communauté nationale.

Seuls les "excès" du multiculturalisme, essentiellement le financement et la reconnaissance officielle de certains groupes, furent dénoncés, Blair et ses alliés évitant de s'en prendre à d'autres aspects du multiculturalisme – moins controversés mais tout aussi significatifs – , tels les aménagements pour les enfants de religions minoritaires dans les écoles, l'intégration de statistiques ethniques dans le recensement, l'établissement d'objectifs quantitatifs de recrutement de minorités dans les collectivités locales.

Aujourd'hui, David Cameron se dispense de ces précautions et de cette recherche de la nuance et de l'équilibre. Il choisit de rejeter en bloc la notion de multiculturalisme. Dans le cadre d'une réflexion légitime sur les partenariats avec certaines organisations musulmanes accusées de jouer un double jeu, il en fait un épouvantail commode et prend le risque de "jeter le bébé avec l'eau du bain" en disqualifiant un ensemble d'expériences et d'approches, qui n'ont au départ rien à voir avec la prévention du terrorisme, ni spécifiquement avec les musulmans. Et, en opposant le "multiculturalisme d'Etat" à ses propositions vagues de participation civique, il le présente comme une entreprise bureaucratique qui étoufferait la société civile.

Dans le contexte actuel de coupes budgétaires drastiques, il donne ainsi raison à ceux, nombreux à l'aile gauche du Labour, qui voyaient dans lacommunity cohesion de Blair une manière de justifier le désengagement de l'Etat de l'action sociale. On peut s'interroger rétrospectivement sur la sagesse des expérimentations du New Labour, qui ont finalement ouvert la voie à un discours qui risque de faire le lit de l'intolérance. A méditer en France ?


Romain Garbaye est l'auteur de Emeutes vs intégration (Presses de Sciences Po, 2001).

No hay comentarios:

Publicar un comentario