viernes, 11 de febrero de 2011

FOUCAULT, SEGÚN DANIEL DEFERT

Daniel Defert, maître de conférence en sociologie à l'université Paris-VIII

"L'oralité est un lieu de corrections instantanées, mais Foucault écrivait tous ses cours"

LE MONDE DES LIVRES | 10.02.11 | 10h59

Daniel Defert a été maître de conférence en sociologie à l'université Paris-VIII et a fondé en 1984 la première association française de lutte contre le sida, Aides. Compagnon de Michel Foucault, il dirige l'édition de ses cours. Entretien.

Pourquoi publier les cours de Michel Foucault, pourtant si réticent à l'idée de la publication posthume de ses oeuvres ?

Il a toujours dit qu'il ne voulait pas d'un sort à la Kafka - et qu'il refusait que l'on publie d'autres livres de lui après sa mort. Mais, en l'occurrence, il ne s'agit pas ici de manuscrits inachevés. Ce sont des cours, dont Foucault a toujours accepté l'enregistrement. Nous sommes donc partis du principe que ce qui avait été public n'était pas posthume au sens propre. C'est une ambiguïté dont je n'avais jamais discuté avec lui. Mais il commençait à se publier des éditions pirates, et il fallait réagir. L'une d'elles, italienne, comportait des erreurs. Une autre était annoncée au Brésil, et une autre encore à Hongkong. Dès le début s'est imposé le non-respect de l'ordre chronologique de ces cours. Nous ne disposions pas de tous les enregistrements et nous ne voulions pas partir des notes de ses auditeurs : Foucault s'en méfiait beaucoup.

Le cours qui paraît aujourd'hui est le premier que Foucault donna au Collège de France : malgré l'oralité, la précision de la pensée est remarquable.

L'oralité est un lieu de corrections instantanées, mais Foucault écrivait tous ses cours, même si c'était un peu moins le cas à la fin. Il avait un tel entraînement... Il y avait chez lui une telle immédiateté entre l'oralité et l'écriture. Le style de ce cours, néanmoins, est un peu différent. Il s'agit du premier qu'il donne au Collège de France et il part du principe qu'il va s'adresser à des spécialistes. Cela explique le grand nombre de références implicites dans ce texte, ou encore les formules grecques en pagaille. Mais, dès le début, c'est une cohue de publics divers : il faut ouvrir et sonoriser deux salles pour les accueillir ! Foucault avait une grande culture, qu'il supposait partagée ; il faisait ses citations de mémoire, et il a fallu vérifier à chaque fois parce qu'il retraduisait de lui-même. Parfois il y avait de petites erreurs, il forçait un peu. Nous avons essayé de retrouver toutes les citations et toutes les références. Heureusement, j'ai retrouvé un grand nombre de ses notes de lecture, qui m'ont permis de constituer une bibliographie, au moins partielle. Cela aide à y voir plus clair.

Comment caractériser l'évolution de ces cours ?

C'est difficile à dire. Il y a toujours chez Foucault un souci de l'actualité. Même s'il parle de la Grèce archaïque, il s'agit pour lui d'une actualité politique des années 1970. Ainsi, à partir des années 1977-1978, il commence à parler de néolibéralisme, parce que cela devient un enjeu. Dans les premières années, il étudie surtout la matérialité de la langue, du discours. Cela étant, il y a une vraie différence entre les cours qu'il donne au Collège de France et ceux qu'il reprend à l'étranger. A l'étranger, Foucault discute en effet davantage des auteurs avec lesquels il polémique. Alors qu'au Collège de France, il est dans une sorte d'objectivité historique. Je pense que c'est pour éviter la polémique - même si c'est un combatif.

Comment expliquez-vous la fécondité de Foucault aujourd'hui ?

Foucault pensait. Il cherchait. Les pistes qu'il explorait étaient interprétables selon des idéologies conflictuelles, contradictoires. Cela explique qu'il soit cité par les uns et par les autres : il élabore tout un jeu conceptuel, à partir duquel il y a plusieurs stratégies possibles, dont on peut discuter. Pourtant, cela ne signifie pas qu'il hésite ou qu'il oscille, ou qu'il n'ait pas d'opinion. Il essaye seulement de savoir.

Pourquoi avoir ajouté en fin de volume le texte du "Savoir d'Œdipe", conférence qui a été prononcée aux Etats-Unis ?

Cette conférence est dans la continuité de sa dernière leçon, et elle marque le moment où la rencontre Deleuze-Foucault a été la plus intense. Je ne sais pas s'il en a discuté avec Deleuze au moment d'écrire, mais l'émergence d'Œdipe tient à sa lecture de Différence et répétition (PUF, 1968). C'est une conférence importante, qu'il a reprise plusieurs fois. A la réflexion, je pense que c'est l'une des clés de ces premiers cours qu'il donne au Collège de France, et qu'il faut certainement lire d'abord "Le savoir d'Œdipe". Au moment de rédiger la quatrième de couverture, j'ai même songé à conseiller au lecteur de commencer ce livre par la fin.

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Propos recueillis par Nils C. Ahl

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