sábado, 9 de abril de 2011

LÚCIDO PRIMER MINISTRO POLACO

Le premier ministre polonais dénonce "l'hypocrisie" de l'UE sur la Libye

LEMONDE pour Le Monde.fr | 08.04.11 | 22h55 • Mis à jour le 08.04.11 | 22h58

Le premier ministre polonais, Donald Tusk, accompagné de sa femme (à gauche) et de sa fille.


Donald Tusk semble tendu lorsqu'il reçoit, mercredi 6 avril, les représentants de cinq grands journaux européens, dont Le Monde. Le premier ministre polonais sait que cette semaine est placée, en Pologne, sous le signe de la commémoration, sur fond de polémiques lancinantes. Il y a un an, le 10 avril 2010, l'avion transportant le président Lech Kaczynski et 95 autres passagers, parmi l'élite politique et militaire du pays, s'écrasait près de Smolensk, en Russie.

Depuis, le frère jumeau du président défunt, Jaroslaw Kaczynski, et une partie de l'opposition accusent Donald Tusk de porter une part de responsabilité dans la catastrophe. Lui confie son aversion pour "l'idéologisation de la vie politique". M. Tusk veut asseoir la nouvelle influence de la Pologne au sein de l'UE et préparer l'entrée dans la zone euro.

Quel est à ce jour l'influence de la catastrophe de Smolensk sur la vie publique polonaise ?

Donald Tusk : Cet événement laissera une trace durable. Smolensk n'a pas eu d'influence sur la position de la Pologne en Europe ou sur ses rapports avec des pays tiers. En revanche, elle en a sur les relations avec la Russie. Le débat a toujours été brûlant en Pologne sur ces relations, qui sont devenues une ligne de division politique, et sur l'enquête conduite après le crash.

Sur le plan intérieur, nous avons vécu un véritable deuil national en perdant plusieurs dizaines de personnalités de la vie publique. En tant que premier ministre, j'ai voulu assurer en priorité la continuité de l'Etat malgré les lourdes pertes, préserver la Pologne d'une crise constitutionnelle. L'Etat a traversé cette épreuve critique. Il fallait aussi que les relations polono-russes ne pâtissent pas de ces événements.

Tout le monde n'a pas contribué à cet objectif, en Russie comme en Pologne. Mais l'amélioration de ces relations, lancée depuis quatre ans, n'a pas souffert, malgré l'attitude pas toujours appropriée des autorités russes.

La société polonaise est-elle sensible aux théories du complot, évoquant un attentat ?

Nous avons fait la preuve de la grande résistance de l'Etat polonais. Nous avons survécu à cette crise malgré le fait que le principal parti d'opposition a entretenu une ambiguïté et utilisé la catastrophe pour attaquer le gouvernement.

Mais j'imagine que ce serait aussi le cas dans tout autre pays, qu'auraient lieu de vifs débats sur les responsabilités et l'interprétation de tels événements. En Pologne, l'opinion publique est divisée mais en majorité, elle a une approche très rationnelle de ce problème.

Pourquoi la Pologne n'a-t-elle pas participé aux opérations militaires en Libye ?

Nous sommes engagés comme membre de l'OTAN et de l'UE, par notre disposition à apporter une aide humanitaire. L'engagement militaire polonais est suffisant en Afghanistan par rapport à nos capacités. Et puis, il n'existe pas en Pologne de conviction à 100 % que cette intervention militaire est fondée. Nous sommes des alliés fidèles, chauds partisans de la plus étroite collaboration entre les Etats-Unis et l'UE sur la défense anti-missile.

Mais croyez-vous vraiment que Kadhafi n'avait jamais tiré sur son peuple avant ? Qu'au Soudan, en Côte d'Ivoire, les peuples ont subi des drames différents ? Pas besoin de nous convaincre que les peuples doivent être protégés contre les agressions d'un dictateur. Nous l'avons, je l'ai personnellement expérimenté. J'ai posé la question à Bruxelles : l'Union est-elle prête à défendre les droits de l'homme partout où ils sont violés ?

La Libye n'est-elle pas un nouvel exemple de l'hypocrisie européenne, quand on voit notre comportement vis-à-vis du régime libyen ces dernières années, ces derniers mois même ? D'où notre réserve.

Mais cette position n'affaiblit-elle pas la Pologne ?

La Pologne est un partenaire très respectée en Europe, et cela ne dépend pas d'un engagement militaire en Libye. Quand il nous a reçu à Paris, le président Sarkozy semblait sincèrement ému par la situation. La question de l'hypocrisie s'adresse à toute l'Europe et pas à des dirigeants en particulier. Quand on utilise la force militaire au nom des droits de l'homme, on s'oblige à le faire partout.

Il faut éviter le deux poids, deux mesures, l'idée que l'UE interviendrait seulement lorsque des intérêts pétroliers seraient en jeu . Si on veut protéger les gens contre les répressions, les dictateurs, la prison, les tortures, cette règle doit avoir un caractère universel et pas seulement s'appliquer quand c'est confortable, facile, profitable.

L'UE n'est-elle pas coupée en deux, avec une alliance Berlin-Varsovie contre Paris et Londres ?

Il n'y a pas d'alliance durable dans l'UE. Les Etats se regroupent en fonction des circonstances. L'Allemagne de façon logique refuse tout engagement militaire, l'histoire fait que cela demeurera ainsi. Nous n'enverrons de soldats polonais sur le champ de bataille qu'à la condition d'être convaincus à 100 % que leur présence est indispensable. En outre, nous avons près de 3 000 soldats en Afghanistan. Nous concentrons nos moyens financiers et techniques pour mener à bien cette mission.

Quel est l'intérêt pour la Pologne de postuler à la zone euro ? N'est-ce pas monter à bord d'un bateau qui coule ?

Si la vie était aussi simple, il suffirait que les Etats sortent de la zone euro. Je viens de recevoir le premier ministre maltais. Il dit que son pays vivrait une catastrophe s'il n'appartenait pas à la zone euro. Les Estoniens et les Slovaques pensent aussi que ça les a aidé plutôt que nuit face à la crise. La Pologne doit intégrer la zone euro pas seulement pour respecter ses engagements, mais aussi car c'est dans son intérêt stratégique et celui de l'UE.

La zone euro n'est pas un navire qui coule. Il n'y a rien de pire, au début d'une tempête, quand ça secoue, que de voir certains envisager de quitter le navire. Seul un idiot peut penser que la monnaie unique est une garantie contre toute crise financière. Je tire un enseignement de ces dernières années : qu'on soit ou non dans la zone euro, il faut respecter des normes élevées de gouvernance.

Mais les Polonais veulent-ils de l'euro ? Quand pourriez-vous l'adopter ?

Question difficile. Il n'y a eu d'enthousiasme pour l'euro ni avant ni après la crise. L'opinion publique est à 50/50 depuis des années. La tendance apparue dans le débat sur l'adhésion est celle d'un scepticisme rationnel. C'est l'opinion majoritaire : "nous voulons être dans la zone euro, mais pourquoi se presser, voyons comment ils vont se remettre sur pied."

J'ai annoncé une date, une fois : 2012. Un mois plus tard, Lehman Brothers s'est écroulé. Depuis, j'ai pris une décision : plus de date, seulement des obligations, pour satisfaire les critères de Maastricht. Dès à présent, nous les remplissons mieux que certains pays de la zone euro. Mais nous ne voulons pas emprunter de raccourci.

Si rien d'extraordinaire ne survient, nous remplirons la totalité des critères en 2015, mais ce n'est pas, bien sûr, la date de l'adhésion. Le premier ministre britannique, David Cameron, a évoqué, fin 2010, une réduction des fonds européens…

Avec David Cameron, je trouve beaucoup de convergences : l'Europe a besoin d'un marché plus intégré, de libertés économiques, de moins de régulations bureaucratiques, de règles universelles sur le commerce électronique. Mais dans cette affaire, les arguments sont de notre côté. En dix ans, les budgets nationaux ont augmenté de 60%, celui de l'UE de 30%. L'écart s'est creusé.

Et puis, souvenez-vous de l'origine de la crise actuelle. Où se trouvent les vilains ? Quelles institutions ont conduit à cette situation ? Sont-elles à Bucarest et à Vilnius, ou bien à New York et à Londres ? Si on veut empêcher la crise, laissons les fonds tranquille. Dans de nombreux Etats, c'est le meilleur des remèdes.

La Pologne va présider bientôt le Conseil européen. Comment défendre l'élargissement vers l'Est et les Balkans, alors que les regards sont tournés vers le monde arabe ?

Ce serait une grave erreur de ne pas reconnaitre que les pays méditerranéens de l'Afrique du Nord sont le plus grand défi. La politique est davantage l'art de la réaction bien sentie aux événements que de la futurologie.

Notre présidence sera donc consacrée aussi, par la force des choses, au sud. Cela implique la capacité à affronter les questions d'immigration illégales à Malte ou en Italie. Il faut d'abord défendre l'UE face à ce phénomène. Même s'il faut penser à ce qui se passe en Libye, on ne peut tolérer que cela bloque l'élargissement.

Pourquoi la Croatie devrait-elle payer pour Kadhafi ? Pourquoi les négociations avec la Turquie deviendraient-elles moins importantes ? Beaucoup d'Européens vivent en dehors des frontières de l'UE. La Pologne est l'exemple de l'intérêt à investir dans des pays qui sont européens, sans se trouver, par le sort historique, dans l'UE.

Le partenariat oriental sera pour nous très important. Les moyens, pourtant faibles, utilisés en Moldavie montrent ce qu'on peut obtenir.

Certes, mais n'a-t-on pas "perdu" l'Ukraine et la Biélorussie, dont l'UE a tenté de se rapprocher ?

Non. Imaginez cette discussion il y a trente ans, après l'introduction de la loi martiale en Pologne et l'interdiction de Solidarité. "Ce n'est pas la peine de s'occuper d'eux, ils sont perdus" ?

En Ukraine, une équipe a perdu, celle de Iouchtchenko-Timochenko, une autre a gagné, pas toujours associée à la démocratie. Mais elle a gagné lors d'un processus démocratique. L'Ukraine est un pays totalement différent d'il y a sept ou cinq ans.

En Biélorussie, nous avons l'exemple d'un dictateur s'appuyant sur les militaires et sa police secrète. Mais tous ceux qui ont voyagé en Biélorussie, ces dernières années, voient à quel point il rencontre des résistances inédites dans son peuple.

Il est beaucoup plus vraisemblable que les normes de la culture politique occidentale se diffuseront en Moldavie, en Ukraine, en Géorgie ou dans les Balkans qu'en Afghanistan ou en Irak. L'UE va survivre à la crise financière. Mais elle ne survivrait pas à la perte de foi dans ses valeurs.

Propos recueillis par Piotr Smolar

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