martes, 27 de septiembre de 2011

ADICTOS DE PEDRO EL CRUEL

En Catalogne, fin d'un spectacle agonisant

Lettre d'Espagne | LEMONDE | 26.09.11 | 15h27 • Mis à jour le 26.09.11 | 15h27

L'agonie du taureau Afligido a duré une vingtaine de minutes. Vingt minutes pendant lesquelles de 300 à 400 personnes, à pied et à cheval, l'ont poursuivi à travers champs, munis de lances et de pics. L'animal, de 608 kg et 5 ans d'âge, a fui. "Pas assez brave", regretteront les 30 000 spectateurs. Oscar Bartolomé, 27 ans, l'a finalement atteint au flanc. Plusieurs fois. Enhardis, les participants à cet encierro traditionnel de la ville de Tordesillas, en Castille-Léon, ont alors entouré l'animal, agonisant, qui s'est allongé, éreinté, aux pieds d'un arbre. Ils se sont approchés. Personne n'avait de puntilla pour l'achever. Il a fallu aller en chercher une. Le tuer. "Je me sens comme Cristiano Ronaldo. Comme Dieu", a tranché Oscar, acclamé par la foule.

Pendant ce temps, une jeune activiste écologiste aspergeait les spectateurs de gaz lacrymogène.

Le 13 septembre, la fête du Toro de la Vega, classée "d'intérêt touristique" par la région, a une nouvelle fois provoqué la polémique en Espagne, entre défenseurs des animaux qui dénoncent sa cruauté et gardiens d'une "tradition" qu'aurait instaurée en 1355 Pierre Ier de Castille, plus connu sous le sobriquet de "Pierre le cruel".

Ces dernières années, l'Espagne a mis fin à plusieurs fêtes qui mettaient en scène la souffrance d'un animal, tandis que d'autres perdurent. Depuis 2002, on ne jette plus de chèvre du haut du clocher de l'église de Manganeses de la Polvorosa, dans la province de Zamora. Mais on lance toujours une dinde depuis le clocher de Cazalilla, en Andalousie, lors de la San Blas.

En 2009, la mairie de Coria, près de Caceres, en Estrémadure, a interdit aux spectateurs de lancer leurs fléchettes affûtées sur le taureau lors de l'encierro de la saint-Jean. Mais plusieurs provinces de la côte méditerranéenne pratiquent toujours la fête du Toro embolado, lors de laquelle on incendie les cornes de l'animal.

A Lekeito, au Pays basque, on continue de se pendre au cou d'une oie attachée à une corde jusqu'à la décapiter. Mais depuis quelques années, l'oie est préalablement tuée. On décapite aussi un canard suspendu à Carpio del Tajo lors des fêtes de Santiago, mais à cheval. Et on envoie toujours des fourmis arrosées de vinaigre et de farine pour que, rendues hargneuses, elles mordent le public lors des fêtes de Laza à Ourense.

"Les organisations de défense des animaux gagnent du terrain petit à petit, mais les hommes politiques agissent en fonction de la pression populaire ou de critères qui ne répondent pas à la logique", souligne Théo Oberhuber, chef de campagne de l'association Ecologistes en action.

Dernière contradiction en date, dimanche 25 septembre, la Catalogne a enterré pour toujours la corrida. Mais les correbous, fêtes célébrées traditionnellement dans la province de Tarragone, sont toujours autorisées, et même protégées par la loi pour des raisons "identitaires" et de "tradition". Parmi celles-ci, les toros embolados, mais aussi le capllaçat, qui consiste à traîner le taureau au moyen de cordes accrochées à ses cornes dans les rues de la ville, et les bous a la mar, lors duquel des centaines de personnes poursuivent un taureau jusqu'à le faire tomber à l'eau. "Nous demandions la suppression des deux, souligne M. Oberhuber.Dans les correbous, la souffrance du taureau n'est pas moindre que dans les corridas." Ce paradoxe n'a pas gêné les parlementaires qui ont voté l'interdiction mais a conforté l'idée que, en supprimant les corridas, la Catalogne nationaliste se débarrassait surtout d'une fête trop "espagnole". "Certains partis ont pris en considération le fait que les correbous ont des aficionados dans de nombreux villages, alors que les corridas n'ont pas beaucoup d'adeptes en Catalogne", explique le responsable écologiste, qui juge la décision "hypocrite". De fait, la Plaza Monumental était l'une des dernières arènes en fonctionnement de Catalogne. Les abonnés n'étaient plus que quelques centaines et la place souvent à moitié vide. La Catalogne n'a peut-être finalement qu'accéléré la fin d'un spectacle qui agonisait. Par manque d'aficionados, plus que par excès de défenseurs des animaux.

En général, en Espagne, la corrida est en perte de vitesse. Elle a cessé d'intéresser les Espagnols, simplement. La crise aidant, depuis 2007, le nombre des fêtes taurines a baissé de 34 %. Selon le sondage Gallup, les aficionados ne sont plus que 26 % de la population. Et surtout, ils vieillissent. Plus de 80 % des jeunes de 15 à 24 ans disent ne pas être intéressés du tout par les toros.

La corrida, deuxième spectacle d'Espagne, est-elle pour autant menacée ? Il semble au contraire que l'interdiction catalane l'a renforcée. Pour éviter qu'elle ne subisse le même sort qu'en Catalogne, la région de Madrid l'a déclarée "bien d'intérêt culturel". Et les professionnels de la tauromachie ont obtenu ce qu'ils demandaient depuis des années : le 31 août, la corrida, qui dépendait du ministère de l'intérieur pour des questions d'ordre public, est passée sous la tutelle du ministère de la culture. "La fermeture de la Monumental est un attentat contre les droits constitutionnels, celui d'accéder librement à un spectacle, et pour les travailleurs, celui d'exercer leur profession. Et elle fragilise aussi une manifestation artistique reconnue comme telle", s'insurge le président de l'Union des éleveurs de taureaux de Lidia. Le Parti populaire (PP, droite) a d'ailleurs déposé un recours auprès du tribunal constitutionnel.


sandrine.mo@gmail.com

Sandrine Morelc

No hay comentarios:

Publicar un comentario